Monday, June 13, 2011

S'approprier un titre

Je lisais un article aujourd'hui en rapport avec la Slutwalk qui a eu lieu récemment à Londres. Déjà, une Slutwalk c'est une manifestation pacifiste pendant laquelle des femmes revendiquent la déculpabilisation des victimes de viol et le droit de s'habiller comme on le veut: que notre corps nous appartient et qu'un viol n'est jamais légitime. 


J'ai lu un article sur cette manifestation et ensuite un contre-article d'une femme qui disait que cette manifestation ne servait à rien, que les hommes allaient simplement en rire et vraiment voir les femmes qui y participent comme des salopes (une des traductions possibles de "slut", aussi : trainée, pute, fille facile). 
Je voulais réfléchir sur l'appropriation de mots: le contre-article s'attardait particulièrement sur l'utilisation du mot "slut" par les manifestantes, et que ce mot allait garder son sens contemporain et médiatisé et n'arriverait pas à devenir une revendication, que cette appropriation était peine perdue, vaine et toujours péjorative. 
Il y a des mots diffamatoires, des insultes qui ont été revendiqués par les personnes visées et qui ont ainsi été l'outil d'une émancipation : "nigger" en anglais, "faggot" aussi, "pédé" et "gouine" en français (on le voit dans l'appellation trans-pédé-gouine en LGBT) pour ne citer que ceux que je connais. J'ai regardé le documentaire Mutantes de Virginie Despentes il n'y a pas longtemps et une femme espagnole qui évolue dans le milieu postporno expliquait qu'elle voulait se réapproprier le mot "pute": 
"Je trouve politiquement très intéressant et contestataire que les femmes se réapproprient les stigmas de la putain. En espagnol, les mots "chienne" et "salope" sont souvent employés dans un sens péjoratif pour désigner les femmes, et surtout les femmes libres. Moi, j'aime me qualifier ou qualifier mes copines de salopes ou de chiennes. Je trouve cet emploi très libérateur. Plus la peine d'argumenter : "Je ne suis pas une pute". Ok, je suis une pute, c'est moi qui décide."
Si c'est moi qui utilise un mot pour me qualifier, c'est moi qui décide comment je l'utilise et ce que je veux qu'il transmette. J'enlève le péjoratif. Je pervertis le mot diffamatoire, j'emmerde ceux qui l'utilisaient pour m'insulter. 


Je pense que c'est important de s'approprier et se réapproprier la langue.


Je me demande jusqu'où cela garde son aspect revendicateur, par contre. Je m'y suis un peu confrontée récemment: je suis ouvertement lesbienne, j'ai des amis homos, et j'emploie un peu à tord et à travers le mot "tapette". Je joue avec mes amis, et puisque je suis homo aussi je suis légitime dans mon utilisation de ce mot. Mais il est carrément passé dans mon vocabulaire courant : "ah, c'est pas un [truc x ou y] de tapette!" pour dire que ce n'est pas pour les gens faibles, qu'il faut avoir l'estomac bien accroché. Je me contredis moi même, cette boutade verbale n'est pas correcte. 
C'est seulement quand l'insulte est revendiquée et détournée qu'elle est acceptable. 
Je peux m'appeler "gouine" et je peux appeler les lesbiennes des gouines parce que je le suis et parce que je sais que j'utilise ce mot en le détournant, que je l'emploie et qu'en faisant ça je dis "je choisis.".
Mais si un homophobe m'entend? S'il me dit : "Sale gouine."? Il n'est pas légitime lui, il n'a pas le droit. Mais il voudra surement pas l'entendre et le problème est seulement là.
S'approprier une insulte est sans doute une arme très puissante mais encore faut-il réussir à l'utiliser correctement. 

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