Monday, May 16, 2011

1 an plus tard



Ça m'est tombé dessus. C'était comme une tension qui s'accumulait subrepticement, sur mes épaules, dans mes veines, je me sentais lourde. Léa m'y a poussée, tendrement. Peut-être que je devrais y aller aujourd'hui, peut-être que je ne devrais plus attendre. J'en avais parlé mais je ne trouvais pas le courage. Puis je me suis laissée porter.
J'y ai marché sous la pluie. Le tram n'arrivait pas et ce n'était qu'à trois arrêts. Comme pour la crémation je portais ma veste en cuir qui se trouvait de nouveau mitraillée de gouttes d'eau.
J'ai fait le tour du cimetière à la recherche de la pelouse où sont éparpillées les cendres, sans succès: il y avait deux groupes d'écoliers qui visitaient avec leurs plans à la main, qui regardaient les noms des défunts avec une curiosité gourmande et candide. Je les avais croisé une fois lors de ma recherche infructueuse, après laquelle je suis allée demander au "bureau". Une employée babillait bruyamment avec un de ses collègues quand je suis entrée. J'ai maladroitement demandé où se trouvait cette pelouse où sont les cendres. Les cendres ? Après les crémations. Elle m'a regardée curieusement, et je me suis dit qu'elle devait me prendre pour une tordue qui prenait son pied en regardant des restes humains. J'ai donc expliqué, et c'était difficile. J'ai dû prendre une grande inspiration avant d'expirer qu'une amie à moi était décédée il y a un an mais que la crémation avait eu lieu à Paris et que je ne pouvais pas y aller, et donc que j'aimerais bien voir la pelouse pour.. me recueillir. C'est l'employée qui m'a apporté l'aide dont j'avais besoin pour finir ma phrase, de façon inattendue.  Elle m'a montré un plan et elle m'a surligné en jaune fluo le chemin d'ici à là.
J'ai dépassé une seconde fois les enfants de la visite guidée. Je me sentais encore plus lourde et c'est comme si je voulais les semer le plus rapidement possible, parce que leur innocence m'insupportait. Et puis quand je suis enfin arrivée devant le jardin j'ai quasiment trébuché, voilà, c'était là.
Le jardin était entouré d'une basse rangée de buissons. J'avais trouvé ça étrange puisqu'un éparpillement des cendres est quand même un moment extrêmement fort, troublant et personnel, et ce jardin se trouvait ouvert au reste du cimetière. Il y avait des rangées de rosiers de plusieurs couleurs, avec un chemin dallé traversant l'ensemble et formant un cercle au centre de la pelouse : au milieu de ce cercle il y avait un arrangement de rosiers et c'est là que j'ai aperçu le premier ensemble de cendres grises. On aurait presque dit du gravier. J'ai pleuré, encore et encore. Voir ces tas de cendres m'a libérée, pouvoir les regarder et comprendre enfin; à l'inverse du regard impossible que j'avais eu pendant la veillée. 

J'avais remarqué une jeune fille assise sur un banc de pierre en dehors du jardin.
Elle m'a regardé pleurer. 

Lorsque je me suis sentie prête je suis sortie et j'ai marché, je me suis retrouvée alors dans un second jardin, voisin du premier, aux roses beaucoup plus épanouies mais sans cendres visibles, et dont les buissons l'entourant formaient de véritables cloisons: je me suis sentie étrange, car j'aurais pu pleurer là à l'abri des regards. Mais je savais bien que j'avais besoin de voir les cendres. Dans ce second jardin j'ai senti une rose et   son parfum m'a remplie complètement. 
Quand je suis sortie, je marchais sans hâte, j'ai été réchauffée par le soleil. Pas très longtemps certes, mais il ne pleuvait plus. 

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